Les silences de l'Histoire officielle
Il y a quelques jours, dans tous les établissements de l'enseignement
secondaire, les professeurs d'histoire et géographie ont reçu dans leur
casier une grosse enveloppe. A l'intérieur, d'étonnants documents
pédagogiques élaborés par le Ministère de l'Education Nationale et deux
associations, « Les Euronautes » et « Toute l'Europe ».
Dans l'enveloppe : une carte de l'Union Européenne et une frise
historique de la construction européenne depuis 1945. Curieusement,
aucune circulaire d'accompagnement... donc aucune explication sur ce
qui justifie - à deux mois des élections européennes - l'envoi de ce
matériel. Le professeur - confiant dans son Institution - en déduit
donc qu'il s'agit d'une initiative s'inscrivant dans une pure démarche
d'instruction civique, l'incitant à afficher sur les murs de sa classe
ces documents pour provoquer auprès des jeunes citoyens en formation
une séance de sensibilisation sur les enjeux européens. Quoi de plus
louable ?
Sauf qu'à y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'il s'agit en fait d'une stupéfiante campagne de propagande.
Un matériel « pédagogique » très orienté
Sur la carte, pas grand-chose à dire : on y retrouve les 27 pays
membres de l'UE, leur date d'adhésion et quelques informations
géographiques... En revanche, c'est en découvrant la frise
chronologique que n'importe quel professeur un tant soit peu attentif
en réalise rapidement le caractère très orienté.
Dès le premier coup d'Sil, on peut facilement discerner la tonalité
très atlantiste de l'ensemble du document qui présente la construction
européenne, depuis la conférence de La Haye en 1948, dans le cadre
d'une alliance avec les Etats-Unis face à l'Union Soviétique, et en
constant parallèle avec l'Otan. Malheureusement, on retrouve cette
tonalité générale dans la quasi-totalité des manuels d'histoire...
Ensuite, on s'aperçoit que pour les concepteurs de cette chronologie,
les professeurs d'histoire et géographie n'ont certainement pas la
mission de sensibiliser leurs élèves sur l'éventuelle implication du
peuple européen dans ce processus de construction : là encore, on
retrouve le penchant assez habituel des documents réduisant l'Histoire
à l'action des grands hommes (et de quelques femmes tout de même...) et
la démocratie au fonctionnement de grandes Institutions totalement
désincarnées.
Bref, un document tendancieux, mais finalement rien de très nouveau...
Mais c'est à la fin de la frise chronologique que le scandale se révèle.
Eh, M'sieur Darcos, y s'est passé quoi en 2005 ? Rien mon petit... rien du tout...
Entre les portraits de Jacques Santer (ex premier ministre
Luxembourgeois, ex président de la Commission Européenne et
co-rédacteur en 2003-2004 du Traité établissant une Constitution pour
l'Europe) et de Nicolas Sarkozy, il y a l'année 2005... vide !
Dans une chronologie sur la construction de l'Union Européenne dont les
concepteurs ont jugé indispensable de rappeler la victoire de
l'Allemagne à la coupe du Monde de football le 4 juillet 1954, celle de
la France le 12 juillet 1998, la naissance de la brebis Dolly le 5
juillet 1996, il est stupéfiant de découvrir qu'en 2005... rien. Il ne
s'est rien passé.
Il est pourtant bien signalé que le 29 octobre 2004, le Traité
établissant une Constitution pour l'Europe a été signé. Et que le 13
décembre 2007, ça a été le tour du Traité de Lisbonne. Deux traités en
3 ans, ça mériterait une explication, non ? Mais non : en 2005, il ne
s'est rien passé... pas plus qu'en 2008 du reste !
Ainsi, pour la propagande euro-béate organisée le vote des peules
français et hollandais des mois de mai et juin 2005 repoussant par
référendum le Traité établissant une Constitution pour l'Europe, et
celui du peuple irlandais refusant de ratifier en juin 2008 le Traité
de Lisbonne, sont des événements indignes de figurer dans des documents
pédagogiques diffusés par le Ministère de l'Education Nationale et ne
sauraient être enseignés par les professeurs d'Histoire et Géographie.
Ces derniers sont appelés à claquer des talons et à diffuser auprès des
élèves cette présentation édifiante de la construction parfaitement
linéaire d'une Union Européenne consensuelle... c'est-à-dire conforme
aux conceptions libérales et atlantistes de ses actuels dirigeants.
Alors voici une suggestion : comme il n'est pas question de gaspiller
les considérables moyens investis par le Ministère de l'Education
Nationale pour faire tirer et distribuer à tous les collèges et lycées
ce beau support pédagogique (en couleur et sur papier glacé), et comme
les professeurs sont tous des serviteurs zélés de la fonction publique
enseignante, on ne peut que recommanderl'affichage de ces documents
dans toutes les classes... Toutefois, au nom de l'exigence
scientifique, et utilisant leur liberté pédagogique reconnue par leur
statut, les professeurs qui liront ces lignes sont aussi invités à
apporter toutes les modifications nécessaires à la main ! Aussi
proprement que possible, mais qu'on se rassure : il y a de la place sur
les années 2005 et 2008 laissées entièrement libres ! Merci donc au
concepteur pour cet encouragement à une pédagogie active et
transdisciplinaire.