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Pourquoi pas ? Le blog de Niurka R.
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23 février 2013

Manuels scolaires et égalité des sexes

 

images

 

La question du sexisme traverse tous les aspects de la société. Dans cette interview qui traite de ses aspects à travers les manuels scolaires, on remarque à quel point, il se niche sournoisement dans des terrains inattendus, manuels de mathématique, par exemple.

Niurka Règle

Les manuels scolaires,

un enjeu essentiel pour l’égalité des sexes

En quoi un outil pédagogique peut-il jouer un rôle clé dans la construction   de l’égalité entre hommes et femmes ? Sylvie Cromer, sociologue et enseignante-chercheuse à l’université de Lille II, apporte son éclairage sur la question. Spécialiste  des représentations sociales sexuées et des violences faites aux femmes, ses travaux portent notamment sur la littérature de jeunesse, la presse magazine et les manuels scolaires. Elle a notamment publiée Du masculin et du féminin dans les manuels    (Ceped, 2005) avec Carole Brugelles.

Sylvie Cromer, vous avez présidé le jury de l’institut Hubertine Auclert (centre   francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes ) qui était censé remettre un  prix d’excellence au meilleur manuel de mathématiques de terminale, suite à la parution de l’étude " femmes et manuels scolaires ". Pourquoi le jury n’a-t-il pas pu remettr  ce prix ?

    C’est assez simple : sur les 29 manuels étudiés, aucun ne correspondait vraiment   à tous les critères. Nous avons examiné des ouvrages conformes aux programmes et   qui présentent une qualité pédagogique, en analysant notamment les personnalités historiques utilisées dans les illustrations et les exemples choisis pour égayer le manuel.  L’idée est de montrer quelle société y est représentée. Or historiquement, s’il y a moins de femmes mathématiciennes que d’hommes, celles-ci pourraient être mieux mises en lumière. Il s’agit de réveiller nos mémoires. Globalement, sur l’ensemble du corpus, les chiffres portant sur l’égalité entre hommes et femmes apparaissent très déséquilibrés avec des variantes en fonction des manuels.

 Vous parlez de chiffres déséquilibrés, cherchiez-vous une parité entre hommes et femmes dans ces manuels ?

    Non, nous ne recherchons pas l’égalité stricte. Mais quand il y a un tel décalage numérique entre des personnages fictifs féminins et masculins, avec seulement 28%    de femmes, nous considérons que cela pose problème. Nous avons aussi examiné les rôles et les fonctions des personnages, afin de voir s’ils peuvent en endosser plusieurs. Les femmes apparaissent souvent cantonnées à des rôles sociaux traditionnels, alors qu'ils devraient être variables.

Faute de prix d’excellence, le jury a délivré "les encouragements égalitaires  d'Hubertine Auclert".

    Oui, nous avons remis ce prix au Manuel Transmath Terminale S spécialité, des éditions Nathan. Il y a une égalité entre les sexes concernant les personnages jeunes. Les personnages de fiction ont peu été utilisés mais ils sont à égalité avec 26 femmes  et 26 hommes. 4 mathématiciennes y sont citées, Sophie Germain, Tatiana Ehrenfest, Olga Taussky-Todd et Emmy Noether, qui apparaissent dans les frises historiques et dans les illustrations. Par ailleurs, le manuel possède une bonne présentation historique de Sophie Germain. Cependant, lorsque l’on s’intéresse aux auteurs du manuel, on constate qu’aucune femme n’est intervenue. Or on sait qu’il existe beaucoup de femmes enseignantes mais qu’elles ont moins accès à l’élaboration des manuels que les hommes. Ceci est pourtant important pour permettre aux femmes d’obtenir des responsabilités, une légitimité et une reconnaissance sociale.

L’étude sur les manuels de maths (voir article "Dans les manuels de maths de terminale, le sexisme ordinaire côtoie les équations") a suscité beaucoup de réactions, parfois très vives. Comment interpréter ces crispations ?

    Cela prouve l’importance du sujet. Deux raisons font que la question de l’égalité  entre les hommes et les femmes interpelle. Tout d’abord, cela touche à la construction  de l’intime, à ce que signifie être un homme ou une femme aujourd’hui, dans notre

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société. D’autre part, le manuel scolaire est depuis des décennies un outil porteur                                                                          

d’enjeux forts, en matière de politique éducative et de politique tout court. Il s’agit d’un outil d’apprentissage chargé d’organiser des connaissances pour un âge donné et dans une société donnée. Mais c’est aussi un produit symbolique. Le manuel est chargé de transmettre les valeurs d’une société tout en véhiculant la représentation de l’ordre  social que l’on estime légitime.

Les manuels scolaires ont souvent été l’objet de polémiques, la plus récente portant sur le chapitre consacré au genre dans les manuels de sciences de la vie et de la terre de première L et ES. Comment l’expliquer ?

    On considère que le manuel est un bien commun de la nation. En 2005, une autre polémique avait éclaté autour de la loi française du 23 février affirmant le "rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord".  Mais les exemples sont nombreux et présents à l’échelle internationale. En avril 2005, l’adoption d’un manuel d’histoire japonais très nationaliste avait ainsi provoqué une série de manifestations anti-japonaises en Chine et en Corée du Sud.

    Les manuels cristallisent beaucoup de choses et légitiment un ordre social du  point de vue des sexes. Ils ne donnent pas une image de la société actuelle mais une représentation, à savoir le reflet d’un ordre que l’on souhaite légitimer. Actuellement,  les manuels renvoient une représentation inégalitaire, discriminante et hiérarchisante            de la société concernant l’égalité entre hommes et femmes.

 Depuis combien de temps s’intéresse-t-on à cette question des représentations ?

    Déjà en 1925, la SDN (Société des Nations) traquait les préjugés racistes et    xénophobes en proposant une analyse comparée des manuels scolaires. Puis, dès 1946, l’UNESCO a pris le relai en lançant un plan d’action pour améliorer les manuels et les moyens d’enseignement, en publiant un guide à cet effet. A partir des années 1970, les stéréotypes liés au sexe ont fait l’objet de nombreuses études. On se focalisait alors sur la représentation de la femme. Aujourd’hui, nous travaillons sur cette image et les systèmes de relations sexuées. Les rapports sociaux de sexe évoluent, les inégalités se modifient mais il faut sans cesse réviser ces stéréotypes.

Quels sont les effets de ces représentations déséquilibrées ?

    Ils sont difficiles à mesurer. Chaque société fabrique du genre dès le plus jeune âge            par plusieurs canaux. Que ce soit par l’exemple des adultes, par les discours tenus mais aussi par les silences, le fait de ne pas expliquer les choses aux enfants. Les pratiques sont aussi importantes : le choix de la décoration d’une chambre d’enfant, des jouets mais aussi des livres de littérature. Les enfants se construisent petit à petit, ils ne sont pas conditionnés dès le départ, ils captent des informations et observent les adultes. Si aujourd’hui il y avait des représentations racistes ou antisémites dans les manuels, il y aurait, à juste titre, des levers de boucliers. Tout le monde est bien d’accord : le manuel doit véhiculer des valeurs.

Comment l’image des femmes a-t-elle évoluée ?

    Dans les années 1970, nous étions dans un système d’exclusion des femmes. Il existait une bipolarité dans certains domaines : on voyait par exemple peu d’hommes materner et peu de femmes travailler. Aujourd’hui, il y a eu une évolution parce que l’on a dénoncé les stéréotypes. Cependant, nous sommes désormais dans un système où ce qui est mis en avant, c’est un masculin neutre et universel. Dans les représentations, le personnage masculin peut endosser tous les rôles sociaux, il a bien vocation à représenter l’universel, ce qui diffère des femmes, qui sont encore perçues comme minoritaires et réduites à certains rôles sociaux.

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Quid des autres "minorités" dans les manuels ?

     Sur l’identité sexuelle, il n’y a rien du tout dans les manuels. C’est une question  taboue dans un système hétérosexiste. En 2008, la Halde avait cependant posé cette question dans une étude consacrée aux stéréotypes et aux discriminations dans les manuels. Lorsque l’on regarde la représentation de la diversité culturelle, il y a également très peu de choses. Même constat pour la question des classes sociales : les rapports sociaux sont gommés.

Existe-t-il des solutions simples à apporter pour améliorer ces représentations?

    Il s’agit d’attirer l’attention pour faire prendre conscience des valeurs et des repré-sentations véhiculées dans les manuels. Une des missions du système éducatif est de former le citoyen et d’aiguiser son esprit critique. Les enseignants et les manuels doivent justement transmettre cet esprit critique, de manière à autoriser les élèves à avoir ce recul. Avoir un manuel parfait peut être difficile mais former les enseignants à avoir un esprit critique sur l’égalité entre hommes et femmes, c’est très facile à faire. Pour cela,  il faut des politiques et des textes clairs, mais aussi la mise en place de formations.

    Quant aux maisons d’édition, leur préoccupation première est d’ordre pédagogique. Mais de même qu’elles donnent des consignes pédagogiques, il faudrait toujours rappeler de tenir compte de l’égalité entre les hommes et les femmes.

par sabrinabouarour 

( blog du journal Le Monde - lundi 3 décembre 2012 )

 

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