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Pourquoi pas ? Le blog de Niurka R.
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27 juillet 2011

C’est un bon jour pour mourir

Une nouvelle inédite diffusée par le M’PEP

C’est un bon jour pour mourir
Une nouvelle sociale, politique et Sarcastique
Par Waldeck MOREAU

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Quartier du Petit Bard 8 heures
Peau de la Vieille Hutte

Robert était sorti tôt ce matin, comme tous les matins du reste, il avait parcouru les 800 mètres qui séparaient son immeuble de l’épicerie, qui faisait également dépôt de pain. Tous les autres commerces avaient fermé petit à petit, les dealers ayant investi la place pour un autre business beaucoup plus lucratif.

Il était sorti en jetant son manteau de feutre sur ses épaules, se faisant surprendre par la fraîcheur matinale. Depuis plusieurs semaines, la météo faisait le yoyo, jouant avec des températures qui passaient de 0° à 20°. Il traversa la petite place dont le revêtement dégradé et d’un autre âge l’obligeait à faire attention où il posait ses pieds. En arrivant devant la vitrine de la boutique, il dut se frayer un chemin à travers un petit groupe de Maghré- bins qui commentaient les dernières nouvelles venues de Tunisie. Chacun y allait de son anecdote, d’autres affi- chaient le journal, mais l’ambiance était à la joie. Ben Ali venait de quitter le pouvoir. Robert salua les per- sonnes présentes qu’il connaissait toutes, ayant maintes fois eu à faire jouer la solidarité dans cet ensemble vé- tuste où ils habitaient. Lui aussi était heureux, ce matin particulièrement. Il suivait de près les événements et le soulèvement du peuple chassant son bourreau lui avait redonné du baume au cœur. Il acheta une baguette et un

paquet de café puis rentra doucement chez lui, passa la barre du bloc B, semblable à tous les immeubles alentour. Quelques pigeons s’étaient rassemblés sur les re- bords des fenêtres, se collant les uns aux autres pour se protéger du froid. Il leva les yeux vers les panneaux de la société d’économie mixte qui avait implanté sur le trot- toir des images d’un projet qui devait, si l’on en croyait ce qui était indiqué, changer radicalement le quotidien des milliers de personnes qui croupissaient dans des ap- partements délabrés et dangereux.

Les images de synthèse contrastaient véritablement avec la vue qu’elles masquaient et l’on avait peine à penser que les pouvoirs publics avaient enfin pris la mesure du drame qui accompagnait la population du quartier du Petit Bard depuis des dizaines d’années.


Les premiers efforts de la municipalité avaient été de redynamiser les services publics dans ce quartier de près de 10 000 habitants devenu un désert social au fil du temps. À l’image de ces ensembles qui avaient poussé comme des champignons dans les années 60, les primo arrivants avaient délaissé leurs appartements dégradés par la mauvaise qualité de la construction et le manque d’entretien, pour faire place à une population d’origine étrangère démunie et désociabilisée.
L’ensemble des immeubles était taggués, du moins jusqu’à hauteur d’homme, au-dessus, les volets rouillés alternaient avec les couleurs des rideaux que les habi- tants de ce grand ensemble avaient installés pour égayer leur intérieur. Ici, point de colonnades à la Bofill, on était loin de l’apparat et de la démesure qui avait accompagné le développement de Montpellier. Les pauvres étaient entassés à l’écart du centre ville. On pouvait vivre à Montpellier sans jamais croiser un habitant de ce quartier, sans jamais deviner qu’à quelques encablures de la Comédie ou du tout nouveau centre commercial “Odysseum”, fleuron de l’agglomération, des gens vivaient dans des conditions inhumaines dans la peur et l’angoisse d’un nouveau drame.

Il pénétra dans sa cage d’escalier bien terne, vitres cassées, gaines de câbles éventrées, boîtiers électriques ouverts à tous vents. Ces derniers mois, trois incendies s’étaient déclarés dans cet immeuble.

Il prit son dernier petit déjeuner et parcourut les quelques mètres qui séparaient la cuisine de sa chambre, puis il s’allongea, ferma les yeux et attendit. Il attendit, mais rien n’arriva. À la manière du vieil indien dans "Little big man", il s’était couché sur son lit et attendait son heure. «C’est un bon jour pour mourir». Voilà ce qu’il se répétait. Il se souvenait de ce vieil homme harcelé par les Yankees, las de la vie et des malheurs qui l’accompagnaient. Ça l’avait marqué et il était tombé en admiration envers l’indien. Il ne se rappelait plus de son nom, de toute façon, il perdait la mémoire depuis déjà quelques années. Mais l’image du vieil homme s’allongeant sur son lit en annonçant «C’est un bon jour pour mourir» était gravée à jamais dans sa tête.

«Putain» qu’il s’était dit en sortant du Grand Rex, le cinéma du Boulevard Poissonnière, à l’angle de la rue du même nom où il travaillait au journal l’Humanité, «Putain, quelle classe le type !».
- T’es con ou quoi ? lui avait rétorqué Fernand, un collègue de bureau. - C’est toi qui est con, moi j’aimerais avoir la dignité du type qui décide de mourir quand il veut et où il veut en déclarant «C’est un bon jour pour mourir».
Fernand l’avait regardé de travers en esquissant un sourire en coin. Décidément, il ne comprendrait jamais rien au fonctionnement de son ami.

La sonnette de l’appartement se mit à hurler, faisant sursauter Robert de son lit de mort. Il avait prononcé quelques phrases incompréhensibles dans le genre « Est- ce qu’ils vont m’emmerder encore longtemps ?, «Allez vous faire voir !» ou encore «Laissez- moi crever en paix, nom de Dieu». Des banalités qui l’avaient surpris. Du coup, il s’était souri à lui-même. Puis, il s’était levé, juste par curiosité pour voir qui pouvait bien le tourmenter dans un moment pareil. Lorsqu’il était arrivé à la porte et qu’il avait jeté un œil dans le judas, il n’avait vu personne. Il avait crié à la cantonade «On peut crever, vous n’insistez pas longtemps !». Et puis, comme il était debout, il fit un crochet vers la cuisine, ouvrit le placard, déplaça le riz et la farine et tendit le bras pour attraper sa bouteille de Genépi. C’était son péché mignon le Génépi, il se le fabriquait lui-même avec des herbes qu’un copain lui ramenait de Serre-Chevalier. Seulement voilà, dans sa propre maison, il fallait qu’il cache ses bou- teilles, de peur que sa fille ne les lui vide dans l’évier. Les enfants, c’est comme ça, on les met au monde, on les bichonne, on les gave, on les éduque et lorsqu’ils ont l’impression d’être adultes, ils vous remercient en vous prenant pour des dégénérés, ils vous infantilisent, c’est le monde à l’envers.
D’ailleurs, la société marchait à l’envers, ce monde qu’il quittait aujourd’hui ne l’intéressait plus. Il n’avait plus aucun but sur cette Terre. Et pourtant, il s’était battu toute sa vie, pour un monde meilleur qu’il disait. «Mon cul oui !».
Robert sentit son cœur s’emballer, il n’avait pas le droit de s’énerver, c’est du moins ce que lui disait son docteur. Son docteur, sa femme, son fils, sa fille et même son gendre. Son gendre, vous vous rendez compte, ce va nu-pieds sorti tout droit des grandes écoles. Et pour faire quoi ? Pour faire de l’argent avec de l’argent dans un cabinet de placement d’argent. Foutaise...
- Tiens, toujours ça qu’les Yankees n’auront pas! S’était- il exclamé tout en se jetant un doigt de Génépi dans le gosier.

Appartement de Robert 10 heures
Les ratons laveurs
Machinalement, il attrapa la zapette de la TV, c’était un bon jour pour mourir, mais bon, il avait le temps, il n’était que 10 heures du matin et il n’avait pas d’horaire précis pour passer de vie à trépas. Et puis, sa boisson aux herbes l’avait réveillé et il se disait que quitte à disparaître de la circulation, autant siffler la bouteille. Robert, il n’aimait pas le gâchis. Une vieille manie que sa mère lui avait inculquée. Elle l’obligeait à finir son assiette lorsqu’il était petit et ça l’énervait passablement. «Pense à tous ceux qui n’ont rien à manger qu’elle lui disait». Robert ne voyait pas le rapport entre le reste de ses pâtes à la sauce tomate et la misère dans le monde, mais comme il était docile, il s’exécutait en pensant faire une bonne action. Sans savoir pourquoi, il avait perpé- tré cette tradition familiale et populaire avec ses propres enfants et il avait surpris sa fille à faire de même avec les siens, ce qui l’avait fait réfléchir sur la bêtise et le conditionnement humains. Mais bon, bien d’autres événements à travers le monde l’avaient conforté dans ce point de vue.
Il appuya sur le bouton de la zapette, en jetant son regard vers le buffet de la cuisine. Puis il se frappa le front à la manière du commissaire Antoine Bourrel dans les Cinq dernières minutes, sans pousser le bouchon à prononcer le fameux, «Bon Dieu ! Mais c’est... Bien sûr !», fallait quand même pas abuser. Tout ça pour dire qu’il n’y avait rien à regarder. Sa TV, il l’avait jetée par la fenêtre quelques mois auparavant, un mardi, ça, il s’en souvenait. L’autre abruti de Pujadas s’était épanché sur le sort de la Société Générale, victime de Kerviel. Pauvre banque et méchant courtier, voilà en gros le message qu’il s’appliquait à faire passer avec son air de cocker battu, persuadé de s’adresser en petit père médiatique à son peuple inculte tout juste bon à avaler les inepties du «vinteure».
Il avait piqué une colère, de celle qui avait sommeillé des années durant, tissant lentement sa toile sournoise dans les méandres de sa cervelle innocente, jusqu’à l’explosion incontrôlée. Et ce qui devait arriver arriva.
Il se leva d’un bond, attrapa sa petite télé en arrachant le fil électrique sous le regard abasourdi de sa femme Colette, qui venait d’avaler une cuillerée de soupe aux poireaux. Sa mixture verdâtre prit un chemin douteux empêchant une déglutition adéquate et elle se serait étouffée si une toux brutale et abondante ne lui avait fait rejeter ses légumes mixés qu’elle avait soigneusement préparés la veille. De son côté, Robert se dirigea vers la petite fenêtre de la cuisine et balança Pujadas trois étages plus bas. Puis, il se rassit, satisfait de son geste en se tournant vers sa femme qui le regardait comme on regarde une huître aspergée de citron se rétracter sur elle-même.
Robert reprit son repas comme si de rien n’était tout en complimentant les talents culinaires de sa femme. Il s’envoya un petit verre de vin, du Domaine des col- lines, lorsque la sonnette de la porte d’entrée se mit à vibrer de façon insistante. Sa femme se leva pour aller ouvrir et il vit débarquer une bande de jeunes dans sa cuisine. Une bande de deux à vrai dire. C’était Rania et Henri dit Riton. Ils bossaient tous les deux dans le parking souterrain du Polygone où ils net- toyaient les voitures des clients du centre commercial. Du coup, dans la cité, on les appelait les Ratons Laveurs. «Ra» pour Rania, «Ton» pour Riton et Laveur parce qu’ils lavaient des voitures. C’était pas futé, mais ça fai- sait rire toute le monde.

- Eh l’ancêtre t’es ouf ou koi? Tu tej ta télé par la f’nêtre, t’as les boyaux d’la têt à l’envers ?

Pour lire la suite : http://www.m-pep.org/spip.php?article2220

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