Les prédateurs de la culture
Libération le 08 / 11 /09
Après Jean, l'Elysée se met au service de Pierre Sarkozy
Un conseiller est intervenu auprès de la Société civile des producteurs phonographiques, après le refus de cette dernière d'attribuer au producteur de rap Pierre Sarkozy une aide pour un projet musical.
FLORENT LATRIVE
(Mis à jour à 16h50 avec le communiqué de la SCPP)
(Mis à jour à 20h05 avec les déclarations du conseiller culture de l'Elysée)
Après Jean, Pierre?
Suite au refus par la Société civile des producteurs phonographiques
(SCPP) d'octroyer une aide à Pierre Sarkozy, producteur de rap (il a
notamment produit Doc Gynéco), pour l'un de ses projets, un conseiller
de l'Elysée serait intervenu auprès de cette dernière pour qu'elle
revienne sur sa décision et apporte son soutien au fils du président.
Selon le site
Electronlibre.info, qui a révélé cette affaire samedi, la SCPP aurait
alors promis de tout arranger et que, «lors de la prochaine commission,
l’affaire serait réglée dans le sens qu’il convient».
Ce coup de pouce de
l'Elysée pour aider l'un des fils du président en intervenant auprès
d'un organisme indépendant survient quelques semaines après la bronca
entourant l'arrivée de Jean Sarkozy à la tête de l'Etablissement public
de la Défense.
Présidée par le
patron d'Universal Music France Pascal Nègre, la SCPP regroupe
plusieurs dizaines de producteurs, dont les quatre majors (Universal,
EMI, Sony-BMG, Warner). Elle est chargée de collecter la rémunération
de ses membres auprès des utilisateurs de leurs catalogues (sites web,
radios etc.) La loi lui impose de réserver une partie de ces sommes au
soutien à la création, et c'est le rôle de la commission des aides,
justement, de choisir les projets parmi les dossiers qu'elle reçoit.
Contacté par Rue89,
le directeur général de la SCPP, Marc Guez, a confirmé avoir reçu un
appel de l'Elysée suite au refus, fin septembre, de la commission
chargée d'attribuer les aides d'apporter son soutien au projet de
Pierre Sarkozy, évalué à 80.000 euros au total. «Nous avons préféré
privilégier les membres de notre association. Il est très rare que nous
versions des aides à des non-membres, même si c'est déjà arrivé»,
a-t-il expliqué, indiquant que Pierre Sarkozy n'est pas adhérent de la
SCPP. Marc Guez se défend pour autant d'avoir subi des pressions et
affirme que «ce conseiller ne [lui] a pas demandé de faire en sorte que
cette aide lui soit versée».
Une affirmation
répétée dimanche après-midi par un communiqué officiel de l'organisme
expliquant que, si «la SCPP a été interrogée», ses services ou sa
direction n'ont, à «aucun moment, directement ou indirectement, (...)
été sollicités pour accorder un traitement de faveur» à la société dont
Pierre Sarkozy est actionnaire (Mind's corporation), «sous quelque
forme que ce soit, pour le présent comme pour l’avenir.»
Sur ce point,
Electronlibre.info, site spécialisé dans l'information sur les médias
et la culture réputé fiable, assure qu'au contraire la SCPP a apporté
toutes les «garanties» pour que cette aide soit in fine débloquée.
«Cela n'arrivera
pas», assure le président de la société de production Abeille Musique
et membre de la SCPP, Yves Riesel, contacté par Libération dimanche.
Lui-même a longtemps siégé à la commission, et il la décrit comme «très
formaliste et cherchant toujours à distribuer les sommes de façon
équitable». Il confirme qu'avec la crise du disque et l'augmentation du
nombre de dossiers, «cela fait des mois et des mois que les aides sont
réservées aux membres» de la SCPP. Et que rien n'empêche Pierre Sarkozy
d'adhérer.
«Si ce petit garçon
n'est pas capable de téléphoner lui-même à la SCPP pour demander des
explications comme n'importe quel producteur et qu'il demande à
l'Elysée de le faire, ça le regarde», dit Yves Riesel.
Dans la soirée de
dimanche, le conseiller culture et communication de Nicolas Sarkozy,
Eric Garandeau, a précisé à l'AFP qu'il avait effectivement demandé des
explications à la SCPP, affirmant qu'il était «sollicité en permanence
par des producteurs à qui on a refusé une subvention et [qu'il] demande
systématiquement les raisons du refus». Cette fois, il aurait en plus
«pris deux précautions: j'ai mentionné par oral et écrit que l'Elysée
ne demandait aucun traitement de faveur et je n'ai pas cité le nom de
Pierre Sarkozy».