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Pourquoi pas ? Le blog de Niurka R.
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9 mars 2009

Musset en compagnie


Musset en compagnie

C’était dans la nuit brune / Sur le clocher jauni La lune/comme un  point sur un i…

Qui avait bien pu écrire ça ? Un enfant sans doute. Seul  un enfant peut écrire cela. Cette façon dessinée d’écrire. J’en étais  là de ma rêverie, dans cet hôtel borgne, du bord de mer, car je n’avais pas trouvé où me loger, et, je lorgnais ce mur lépreux où avait été tracé le poème puéril. Pourtant, je poursuivis, sans le vouloir :    

Lune quel  esprit sombre / Promène au bout d’un fil / Dans l’ombre / Ta face et ton  profil ?..

Très vite, je me sentis mal à l’aise. J’étais en pays de connaissance :

Qui t’avait épargné l’autre nuit / car tu vins pâle et morne / cogner sur
les carreaux / Ta corne à travers les barreaux…

Donc, j’ai triché. Je l’avoue. J’ai triché. Ce petit poème, on  me l’avait offert, un jour, alors que ne sachant pas pourquoi, je fus arrêtée et emmurée, trois jours durant, dans une sombre pièce près du port où je me trouvais, alors. J’entendais le ressac, entêtant et monotone et le cri des mouettes au-dehors.

C’est une affaire étrange. Je venais de quitter Jean, et je marchais dans la rue sans autre souci que de lever le nez en l’air. Je portai, ce jour-là une jupe plissée bleue et un bonnet rouge.

J’étais heureuse.

Soudain, je fus happée par derrière, jetée dans une voiture, puis conduite dans une pièce sinistre dont la seule lucarne laissait percevoir un morceau de ciel. J’émis un sanglot qui fit place au silence.

Puis rien, plus rien.  Que faire ? Je m’adossai au mur et voulus dormir pour laisser le temps aller plus vite et ne plus penser. J’avais peur.

A mon réveil, le jour s’était levé. J’ignorais toujours pourquoi j’étais là. Personne n’étais venu. Que faire ? A qui m’adresser ? Je tambourinai à la porte. Un homme me conduisit dans une
courette. Je me soulageai et me mis à pleurer. L’homme, sans un mot, sans un geste, me raccompagna.

Je regardai le ciel. Rien de ce côté-là. Je m’assis à nouveau, dos au mur, face à la lucarne. Soudain, j’entendis tousser. C’était à côté. Il y avait donc quelqu’un..... J’en fus heureuse. Terriblement heureuse.
Un nouveau toussotement, puis, trois coups. Mon regard longeait ce mur « ami », lorsque je m’arrêtai sur un petit objet qui traversait la paroi à ma rencontre. Trois petits feuillets de cigarette sur lesquels  étaient transcrits cette fameuse « lune comme un point sur un i ».
Comme j’ai aimé Musset, ce jour-là ! Comment avais-je pu l’oublier ? Cette chambre sordide, sans doute. Ce mur  lépreux qui  évoquait l’autre. La méprise. On m’avait prise pour une activiste d’Action Directe. Ça s’est terminé très vite, heureusement.  On avait  trouvé la « Vraie ». Mais je n’aime pas en parler.

Je me souviens encore du deuxième jour. Mon voisin, c’était un homme, arrêté, lui savait pourquoi, avait pratiqué une petite ouverture par laquelle nous pouvions converser. Je me souviens de cette nuit où il me parla, déclinanat lui-même questions et réponses.
J’écoutais, j’écoutais  avec avidité cette voix humaine qui me parlait de choses humaines. Il m’a fait rêver :
« Dis-moi, tu viens de me dire : alors tout est fini ! Allons donc !  Toute musique a-t-elle une fin  C’est comme un collier de perles. La Terre elle-même  a-t-elle seulement un commencement ou une fin ? Et un tableau ? prenons Guernica, par exemple,  a-t-il une fin ? Oui et non. Hélas, non. Aucune fin aux guerres. L’amour, alors, a-t-il une fin ?  Sans doute. Peut-être. Sa recherche, jamais.Et ces matriochkas si mignonnes, si rebondies, leur emboîtement peut-il être multiplié à l’infini ? Une matriochka atomique, alors. Mais même le monde serait toujours là.
Tu me fais rire, rien n’a une fin, tout se prolonge. Différemment. La mort, elle-même met fin à ta vie, mais pas à celle des autres. Le mondec ontinue et ta propre mort matérialisée n’est pas une fin. C’est même souvent un commencement. Pense à Guernica. Vois ce que la mort a inspiré. Et je te fais grâce de la poésie et du reste.

Non, crois-moi, nous sommes ici- bas mais pas seuls, vois-tu. Il n’y a aucune fin à cela. Ça donne le tournis. Je dirais même c’est angoissant... Tu penses que je te provoque ? Cite-moi une chose qui ait une fin. Même une suite de Bach n’a pas de fin. Quand c’est fini, je la fredonne. Alors, ma chère, dis-moi que j’ai raison et buvons à notre santé. C’est le fin du fin ! »


Et il ajouta avec un ricanement bizarre : « On dit c’est la fin des haricots. Peux-tu m’expliquer le sens de cette formule populaire ? »

Nous partîmes d’un éclat de rire qui résonna de façon si tonitruante qu’en deux temps trois mouvements, on entendit des pas précipités. Mon cœur cessa de battre. Un bruit de clés, puis de serrure. Le même homme entra dans la cellule. Me mit un bandeau sur les yeux. Me poussa. Je sentis l’air frais du dehors. On me projeta dans une voiture. Au bout  d’un long moment. On me sortit et la voiture démarra en faisant crisser les roues. Je pus ôter le bandeau. Je me trouvais sur une placette,dehors, comme j’étais partie. J’appelai Jean.

Et mon compagnon d’infortune, qu’est-il devenu ? Je frissonnai au souvenir de cette trahison involontaire. Je regardai encore une fois le mur révélateur. La lune me fixait de sa blancheur narquoise. Je lui tournai le dos et sombrai dans le sommeil.

Niurka Règle







 
 
 

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