Les réputaions
Les réputations, Juan Gabriel Vásquez, traduit de l’espagnol (Colombie) par Isabelle Gugnon, Seuil
Souvent, dans les médiathèques, on fait de belles rencontres. C’est le cas, ici avec « Les réputations » de Juan Gabriel Vásquez dont j’ignorais et le nom et l’œuvre.
Au début, le titre apparaît énigmatique. Certes, Javier Mallarino a une excellente réputation, une réputation incontestée. Il doit, d’ailleurs, lorsque débute la narration, se rendre dans la grande salle du théâtre Colón de Bogota pour un hommage à lui rendu.
Caricaturiste incorruptible, acerbe, tranchant, depuis 40 ans il use de son fusain pour démonter l’arrogance, l’immoralité des autorités, des personnages véreux. Craint, admiré, haï il n’a jamais abdiqué. Il aimait à rappeler, avec une délectation certaine, les mots de Ricardo Rendo qui compare l’art de la caricature à « un aiguillon enrobé de miel ».
Homme solitaire, travail solitaire, séparé de sa femme et de sa fille, il s’est depuis longtemps écarté de l’agitation mondaine de la ville. Mais peu de temps après son intronisation au théâtre Colón, il voit débarquer une jeune femme du nom de Samanta Leal, une jeune femme qui va l’obliger à se souvenir d'une certaine soirée qui eut lieu dans cette même maison, il y a 28 ans, la jeune femme étant encore enfant.
L’amnésie de Samanta Leal est totale sur le drame qui s’est joué ce jour-là, mais des traces indélébiles sont toujours là : séparations, suicide, détresse psychologiques…Le fusain, arme fatale du caricaturiste, a joué pleinement son rôle en cassant « les réputations », en véritable justicier qu’il se prétendait être. La prise de conscience, la culpabilité, le sentiment d’avoir œuvré sans un regard sur les êtres de chair et de sang mettent, alors en cause le travail de toute une vie. Finalement, face au pouvoir médiatique ravageur de son art, un sentiment étrange et douloureux place l’artiste dans l’exigence tardive du renoncement.
Juan Gabriel Vásquez mène son roman avec une efficacité magistrale. La part d’ombre et de lumière du protagoniste est menée à travers les méandres de la mémoire et de l’oubli et c’est une écriture, à la fois fluide et serrée, qui nous accompagne, fascinés, dans la trajectoire de l’homme qui se voulut au-dessus de tout soupçon.
Une écriture qui travaille à merveille la complexité et l’ambiguïté de l’artiste. Une belle réflexion sur la fonction de l’art.
Niurka Règle