Viva la vida, Los sueños de ciudad juarez
Viva la vida, Los sueños de ciudad juarez, Edmond Baudoin et Jean-Marc Troub’s – L’Association
Les deux graphistes ont entamé une sorte d’exploration d’un lieu étonnant qu’est cette ville frontière avec les Etats-Unis : Ciudad Juarez.
Lorsque Baudoin parle de son projet, Troub’s accepte de faire le voyage. Il est évident que pour se rendre dans cette ville meurtrière il faut préparer le voyage, y trouver des complices pour y ouvrir des portes.
Munis de leurs carnet, de leur crayon, de leur pinceau, de leur encre et d’une grande humilité ils vont à la rencontre des gens, ayant pour seule question : quel est votre rêve ? Or les hommes et les femmes font les mêmes rêves : travail, paix sociale, maison, études pour les enfants. Ce constat imprime une grande mélancolie à cette quête pour comprendre. Mais peut-on comprendre : les femmes assassinées, les enfants assassinés, l’irrépressible désir de fuite, ailleurs dans le pays, aux USA si proche.
Il y a dans ce voyage quasi immobile une émotion qui sourd à chaque moment. Les dessins qui s’enchaînent suintent la violence, la peur. On ne sort pas la nuit. La présence militaire, la police, les narcotrafiquants sont chaque matin dévoilés au grand jour dans les « unes » des journaux qui racontent toujours la même chose, femmes violées, femmes assassinées, enfants tués. Nous sommes au sein d’une ville en plein marasme, aux meurtres répétitifs, comme une manière de vivre.
Et pourtant, les deux amis d’aventure, de dessin et de texte font de merveilleuses rencontres « pour la vie » Viva la vida, donc et viva los sueños. Les lieux sont dessinés de façon elliptique laissant deviner l’arrière du décor. Mais, chaque rencontre donne lieu à un portrait où un nom est inscrit et c’est très émouvant. Car justement on a, en quelque sorte, brisé le mur du silence, simplement en faisant exprimer les rêves enfouis au plus profond de soi. Les échanges, parole contre dessin, sont autant de merveilleuse altérité.
Une B.D. qui vous transporte jusqu’au bout du voyage. La complicité des deux artistes est absolue. Elle porte la même tension pour évoquer ces hommes et ces femmes qui acceptent la rencontre avec une confiance et une grâce confondante. Ces magnifiques intermèdes, qui brisent la peur, et qui s’ouvrent aux rêves sont autant de petits grains pour vaincre le désespoir définitif.
Si vous voulez connaître Ciudad Juarez, ouvrez ce livre. Il nous en apprend beaucoup. Et l’art, ici, est éveilleur de la conscience.
Niurka Règle