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Pourquoi pas ? Le blog de Niurka R.
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18 avril 2011

Ecole : le grand démantèlement se profile...

 Pierre_num

A quoi sert l’éducation secondaire ?

Feu sur les enseignants

Alors qu’aux Etats-Unis certains dirigeants — dont une ancienne vice-ministre américaine de l’éducation — critiquent la mise en compétition des établissements et l’évaluation des élèves, cette logique inspire les réformes françaises. Le gouvernement tente d’affaiblir le statut des enseignants, un corps traditionnellement revendicatif, en individualisant les carrières (lire « A quoi sert l’éducation secondaire ? »).

Par Gilles Balbastre

« Dynamique et réactif », « disponible », « grand sens de l’autorité naturelle, alliant fermeté et souplesse », « ouverture d’esprit », « capacité à mener des projets », « capacité à innover ». Les exigences des employeurs qui déposaient à la veille de l’été 2010 leurs « fiches de recrutement » sur Internet n’étonnent guère. Plus inhabituelle, cependant, est la catégorie professionnelle à laquelle ils s’adressent : les enseignants. Un bouleversement ? Pas vraiment.

Depuis une petite dizaine d’années, différents ministres se sont évertués à accommoder le service public de l’Education nationale aux principes du management « moderne ». Avec la volonté d’imiter le modèle de relations sociales du secteur privé, en transformant chaque établissement en petite entreprise autonome.

Annoncé à bas bruit par le ministre de l’éducation, M. Luc Chatel, au cours des Etats généraux de la sécurité à l’école, en avril, le programme Clair (Collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite) constitue le dernier avatar de cette « révolution ». Encore expérimental et restreint à une centaine d’établissements « concentrant le plus de difficultés en matière de climat scolaire et de violence (1) », ce dispositif donne la possibilité aux chefs d’établissement de « recruter les professeurs sur profil (2) ». En d’autres termes, les enseignants, y compris les détenteurs du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) ou de l’agrégation, seront désormais nommés sans passer par le mouvement national de mutations qui leur garantissait depuis des décennies une indépendance d’action par rapport à leur direction administrative.

Autre mesure essentielle du dispositif : « Un préfet des études est désigné pour chaque niveau. Elément central de la cohérence des pratiques, du respect des règles communes et de l’implication des familles, il exerce une responsabilité sur le plan pédagogique et éducatif (3). » Avec la création de ces « préfets », sorte de contremaîtres, une hiérarchie intermédiaire voit ainsi le jour dans le corps des enseignants, jusqu’à présent relativement égalitaire.

Derrière le prétexte d’une consensuelle lutte contre la violence scolaire, « les choses sont claires, si je peux me permettre ce jeu de mots, grimace M. Willy Leroux, professeur de technologie depuis seize ans à Grande-Synthe, près de Dunkerque. Cette réforme est là pour remettre en cause notre statut » — un statut hérité des années 1950.

Des machines à
fabriquer du projet

M. Leroux a de quoi être inquiet, lui qui travaille dans un établissement classé depuis cinq ans « RAR » (réseau ambition réussite). Il a pu observer la mise en place de cette politique de dérégulation — enclenchée par les gouvernements de MM. Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin et François Fillon — par petites touches, par accumulation de réformes successives.

L’instauration par M. Gilles de Robien, alors ministre de l’éducation nationale, du dispositif RAR, sans aucun doute le plus emblématique, remonte à la rentrée 2006. Elle faisait suite, déjà, à des violences urbaines largement médiatisées : la révolte des banlieues de l’automne 2005. Cette année-là, le ministère, inspiré par la commission du débat national sur l’avenir de l’école (2003-2004), présidée par M. Claude Thélot, invente un « super-prof », baptisé à l’époque « professeur référent ». Celui-ci voit sa présence dans les classes ramenée à neuf heures hebdomadaires (au lieu de dix-huit pour un certifié), mais doit en échange, selon la nouvelle rhétorique entrepreneuriale, « impulser une dynamique pédagogique » et « favoriser la dynamique du projet de réseau » (4).

Ces « postes à profil » ouvrent une première brèche dans le statut de fonctionnaire. Recrutés par lettre de mission et non plus à la suite de mutations administratives, ces « professeurs référents » dépendent désormais de leur chef d’établissement ou de leur inspecteur, et sont soumis à une évaluation par objectifs.

A la façon des agents de maîtrise en entreprise, une partie de ces professeurs RAR ont servi de courroie de transmission entre les directions — soucieuses de faire appliquer les velléités réformatrices du ministère — et les équipes pédagogiques. Jusqu’alors, « l’idée générale, chez les profs, c’est une égalité de fait : je respecte tes cours car tu respectes les miens, observe Mme Hélène Dooghe, professeure de lettres modernes à Roubaix (5). On fait le même boulot, avec le même nombre d’heures, les mêmes conditions de travail. Ce genre de profs, avec un statut différent, avec une présence moindre devant les élèves, avec un rapport particulier à la hiérarchie, a amené une certaine division dans les salles de profs. Ce qui peut être préjudiciable, car, dans ces collèges, nous avons avant tout besoin de solidarité. »

« J’ai voulu l’autonomie des réseaux ambition réussite comme un moyen de libérer les énergies, de stimuler les projets innovants, l’invention pédagogique et aussi la création de partenariats avec des acteurs de la vie économique et de la société civile », s’enflammait en janvier 2007 M. de Robien (6). Sans surprise, ces « superprofs » se sont bien souvent transformés en véritables machines à fabriquer du « projet », comme les sixièmes « à thème » (Egypte, musique, théâtre… astrologie, etc.).

Mais l’enthousiasme de M. de Robien n’est pas unanimement partagé. « En réalité, les projets répondent surtout à une volonté de la hiérarchie, qui veut donner une image positive des établissements difficiles, particulièrement dans une période où les moyens ont diminué drastiquement et où la carte scolaire a été supprimée », glisse Mme Cécile Poullelaouen, professeure d’anglais. « Personne ne semble se soucier d’évaluer sérieusement l’efficacité pédagogique de ces projets, notamment en termes de progrès scolaires des élèves, confirme Mme Dooghe. Le concept de projet suffit bien à sa propre justification… » (lire « Et si l’école servait à apprendre... »).

« Nous avons un
public à conquérir »

Les rapports d’activité dans les RAR, rédigés par les professeurs référents, illustrent parfois jusqu’à la caricature la prédominance de cette nouvelle norme pédagogique. Un exemple parmi tant d’autres : « La mise en place de projets transversaux à un ensemble d’établissements scolaires du réseau reflète la réalité de la mobilisation des moyens et du travail en partenariat au service de la réussite des élèves dans un domaine donné (7) », écrit l’académie de Clermont-Ferrand dans une note où le mot « projet » figure vingt et une fois sur neuf pages.

Il n’est guère surprenant de voir la réforme « ambition réussite » de 2006 associer des mesures favorisant à la fois la prise de pouvoir des chefs d’établissement, la création d’une hiérarchie intermédiaire et l’utilisation surabondante de concepts creux. Les sociologues Luc Boltanski et Eve Chiapello avaient montré en 1999 comment, depuis une vingtaine d’années, le capitalisme s’était modernisé en se parant de colifichets tels que les concepts de « réseau » et de « projet » (8).

Franck Lepage, militant de l’éducation populaire, a observé les effets mercantiles de cette contamination rhétorique dans le secteur socioculturel : « Aujourd’hui, on réunit un groupe de jeunes. Avec eux, on monte un “projet”. Ce projet dure un an. On défend ce projet en échange d’une subvention, en concurrence avec d’autres porteurs de projets. Ce projet n’est pas fini qu’on est déjà en train de préparer le projet suivant pour obtenir la subvention suivante. A partir du moment où l’on fait ça, mesdames et messieurs, on entre dans la définition marxiste de la marchandise. La marchandise, c’est un bien ou un service réalisé dans des conditions professionnelles, qui teste sa pertinence sur un marché en concurrence avec d’autres biens ou services équivalents. Eh bien, mesdames et messieurs, le mot “projet” est un mot qui, insidieusement, transforme notre vie en un processus de marchandise (9). »

Pour lire la suite : http://www.monde-diplomatique.fr/2010/10/BALBASTRE/19740


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