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26 février 2010

La monnaie, ce lien social méconnu...

Attac

La monnaie, ce lien social méconnu Jean-Marie Harribey Libération, 24 février 2010

De multiples enseignements peuvent être tirés de la crise majeure que le monde traverse depuis deux ans et demi : incapacité du marché à produire de la stabilité mais, au contraire, aptitude à engendrer des inégalités ; contradiction d’un mode d’accumulation financière sans travail ; extraordinaire rapidité de la volte-face des banques, hier sauvées de l’abîme par l’État, aujourd’hui prêtes à dévorer la main qui les a nourries ; effets délétères de la marchandisation qui restreint l’espace commun du vivre ensemble.

En revanche, ce qui n’a pas été assez souligné, c’est le rôle qu’a joué la privatisation de la monnaie dans le processus qui a conduit à la crise et qu’elle continue à jouer dans un moment où tout le monde cherche désespérément à sortir du marasme. On a fini par comprendre que, après trois décennies de décrochage de la masse salariale par rapport à la productivité du travail, le crédit aux pauvres pour compenser leurs salaires bloqués et le crédit aux financiers pour spéculer créeraient une situation intenable. D’un côté, une surproduction qui touche tous les principaux secteurs industriels, de l’autre des banques centrales très rigides quant au crédit qui aurait irrigué l’économie réelle, mais très laxistes avec les facilités accordées à la finance pour restructurer et concentrer les entreprises (vive l’effet de levier !) et pour participer à la frénésie spéculative sur les marchés de gré à gré. L’exemple de la Banque centrale européenne était caricatural : depuis sa création, elle affichait ne vouloir qu’une croissance de la masse monétaire de 4,5% par an pour couvrir à la fois l’inflation et la croissance économique de la zone euro, mais, en réalité, elle tolérait jusqu’aux derniers mois précédant la crise une progression de la masse monétaire de 11 à 12% l’an.
Les leçons ont-elles été tirées des dégâts provoqués par l’accaparement de la création monétaire par ce qu’Adair Turner lui-même (responsable de la Financial Services Authority britannique) a appelé la « finance inutile » ? Rien n’est moins sûr : on assiste au retour en force de l’arrogance des opérateurs sur les marchés financiers pour exiger des taux d’intérêt sur les obligations d’État beaucoup plus élevés que ceux qu’ils versent eux-mêmes pour se refinancer auprès des banques centrales qui sont proches de zéro. Avec en prime, l’exigence envers les États jugés potentiellement défaillants d’instaurer des plans d’austérité draconiens pour leur population, comme en Grèce actuellement.
En un mot, la gestion de la monnaie par le capitalisme néolibéral relevait du projet de Friedrich von Hayek de dénationaliser la monnaie, c’est-à-dire de sortir la monnaie, et par- delà l’ensemble de l’économie, d’une gestion politique. Ce projet était insensé parce qu’il revenait à nier l’ambivalence de la monnaie. Celle-ci est un instrument d’accumulation privée : ceux qui ont du capital achètent la force de travail de ceux qui n’en ont pas. Mais elle est aussi un bien public, et cela à deux titres. D’une part, sans ce bien public, les échanges marchands privés ne pourraient avoir lieu ; c’est pourquoi sa validation sociale collective est préalable à tout échange. D’autre part, c’est la monnaie, bien public validé politiquement, qui permet la socialisation d’une partie de la richesse produite pour fournir à tous école, soins gratuits et prestations sociales.
On saisit alors combien la privatisation de la monnaie relevait d’un projet de société global, d’une philosophie politique a-politique pourrait-on dire. Hayek l’avait rêvé, le capitalisme néolibéral a presque accompli le cauchemar prophétisé par Karl Polanyi : une société qui transforme en marchandises le travail, la terre et la monnaie s’auto-détruit. Quelles
1 Libération a titré « Euro : renationaliser la monnaie ». Ce titre est trop ambigu pour que je l’avalise.
sont les chances de mettre un terme à cette évolution auto-destructrice ? Elles sont nulles si l’on ne commence pas par retrouver l’usage collectif de la monnaie.
En 1944, à Bretton Woods, Keynes avait vu juste : il faut une monnaie mondiale et pas une monnaie nationale imposée au monde. En 66 ans, de l’eau a coulé sous les ponts de la mondialisation. Par où prendre le problème aujourd’hui ? Le territoire européen pourrait être celui de l’expérimentation. Au moins trois verrous doivent sauter. Le premier est celui qui interdit le moindre obstacle à la circulation des capitaux (art. 56 du Traité de Lisbonne). Aujourd’hui, nombreux sont ceux, jusque dans les sphères du FMI ou des gouvernements, qui reconnaissent le bien-fondé des taxes sur les transactions financières. L’espace de la zone euro est suffisant pour les initier.
Le deuxième verrou est celui qui interdit à la Banque centrale européenne de faire crédit aux États et autres administrations publiques (art. 101 du Traité de Lisbonne). L’impossibilité de monétiser les déficits publics aboutit à empêcher toute création monétaire pour financer les dépenses collectives, sauf si les bons du Trésor sont achetés par les banques privées qui se refinancent en mettant en pension ces bons à la banque centrale : le comble de l’absurde et du détournement de fonds puisque, au lieu de recourir directement à du crédit gratuit auprès de la BCE, la collectivité est obligée de rémunérer les rentiers.
Le troisième verrou à briser concerne les obligations imposées aux États membres de l’Union de respecter l’orthodoxie budgétaire la plus stricte, sans qu’il soit possible, sauf en cas de force majeure reconnaissable seulement a posteriori, de faire appel à l’aide de l’Union ou à d’autres États (art. 102 à 104 du Traité de Lisbonne). Le verrouillage de la politique monétaire accompagne celui de la politique budgétaire, tandis que la concurrence prime sur la coopération et la solidarité.
Ainsi, les tenants de l’ordre néolibéral ont bien compris que la monnaie était, comme l’écrivait Marx, « le lien social sous sa forme solide » et qu’il était crucial pour eux de le défaire. Retrouver ce sens méconnu de la monnaie ouvrirait une nouvelle perspective pour sortir de la crise capitaliste, sinon du capitalisme lui-même.

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