Mahmoud Darwich, un poète de la lucidité
Si nous le voulons
, si nous le voulons« Nous serons un peuple, si nous le voulons, lorsque nous saurons que nous ne sommes pas des anges et que le mal n'est pas l'apanage des autres.
Nous serons un peuple lorsque nous ne dirons pas une prière d'action de grâces à la patrie sacrée chaque fois que le pauvre aura trouvé de quoi dîner.
Nous serons un peuple lorsque nous insulterons le sultan et le chambellan du sultan sans être jugés.
Nous serons un peuple lorsque le poète pourra faire une description érotique du ventre de la danseuse.
Nous serons un peuple lorsque nous oublierons ce que nous dit la tribu…, que l'individu s'attachera aux petits détails.
Nous serons un peuple lorsque l'écrivain regardera les étoiles sans dire : notre patrie est encore plus élevée… et plus belle !
Nous serons un peuple lorsque la police des mœurs protégera la prostituée et la femme adultère contre les bastonnades dans les rues.
Nous serons un peuple lorsque le Palestinien ne se souviendra de son drapeau que sur les stades, dans les concours de beauté et lors des commémorations de la Nakba. Seulement.
Nous serons un peuple lorsque le chanteur sera autorisé à psalmodier un verset de la sourate du Rahmân dans un mariage mixte.
Nous serons un peuple lorsque nous respecterons la justesse et que nous respecterons l'erreur. »
« La dernière fois que j’ai rencontré Mahmoud Darwich, c’était lors d’un festival franco-arabe de poètes organisé par les Ambassadeurs arabes à l’Institut du Monde Arabe à Paris et au ministère français des Affaires étrangères. Il lisait ses poèmes au Quai d’Orsay. Toujours avec cette élégance et ce ton qui lui sont familiers. Ses images coulent de source, sa terre lui colle à la semelle. Sa poésie est un vrai chant contre la volonté de mort, va à l’essentiel, sans fioritures ni gratuité langagière. Chez lui, la défense de la Palestine est une éthique, non pas une politique, une vision à la hauteur des valeurs humaines les plus profondes, grandit la poésie au rang de la philosophie, de l’attachement de la vie humaine. De recueil en recueil, Mahmoud Darwich hisse la Palestine comme une tragédie à la face du monde, sans haine, sans concession aussi. Son intransigeance était juste, fraternelle et généreuse. Ancrée dans la mémoire arabe, sa poésie édifiait une modernité universelle. Au-delà du symbole qu’il représente, la Palestine au cœur, sa poésie ne pouvait laisser insensibles tous ceux qui luttent pour la dignité des humains. Il n’était pas que le poète des Arabes, il était la conscience de l’humanité entière. »
Tahar Bekri