« Un peuple en petit » d’Oliver Rohe, Editions Gallimard
UN PEULE EN PETIT, SIX MILLIARD D'AUTRES
Pour
son entrée dans la prestigieuse collection Blanche de Gallimard, Oliver
Rohe signe un exceptionnel roman, Un peuple en petit. Derrière un titre
extrait d’un poème de Novalie, le livre réussit le tour de force de ne
pas faire mentir celui-ci. Car à travers trois personnages et 220 pages
seulement, c’est bien de l’humanité entière dont Rohe se fait le
miroir. Un peuple en petit est clairement l’une des plus belles
découvertes de ce début 2009.
Trois personnages, donc. On rencontre tour d’abord Karl, comédien de théâtre talentueux mais vieillissant, qui revient dans sa ville natale en Allemagne, pour y monter Mort d’un commis voyageur, adaptée de manière très personnelle de par un metteur tyrannique et alcoolique. Ce personnage, dont on découvre le prénom au détour de situations fugaces, n’est cité dans le livre qu’à travers le nom de “Bochum”, nom de la ville allemande où doit se tenir la première de la pièce. Vient ensuite “Personnage deux”, un individu coincé dans un immeuble quelconque, aux prises avec des voisins cancaniers, qui est atteint d’un trouble personnel qui l’obsède. Il avoue avoir « toujours manqué de vocabulaire technique » et ne disposer « que de très peu de mots pour distinguer les objets ». Ce qui le plonge dans des situations embarrassantes, comme demander un chalumeau à la place d’un paille pour son soda. Commence pour lui une interminable quête de sens des mots, afin de s’assurer une expression verbale conforme à ses idées. On découvre enfin le troisième personnage, auquel l’auteur se réfère à travers des dates successives, courant du 3 janvier 1979 au 5 février 1989. Ce personnage est un enfant, coincé dans une terrible mais mystérieuse guerre, qui éventre un pays dont le nom n’est jamais précisé.
A travers ces trois caractères seulement, Un peuple en petit esquisse un portrait saisissant des névroses humaines. Le cynisme d’un Bochum blasé, la névrose grammaticale de Personnage deux et la fuite en avant imposée de l’enfant nous mettent face à autant de situations qui peuvent toucher chacun de nous, à un moment précis de notre vie. Sans rapport apparent ni évoqué, chaque personnage trouve sous la plume de Rohe une existence littéraire qui lui est propre. Outre leurs univers respectifs, ce sont autant de styles d’écriture qui sont empruntés ici. Pourtant, leur addition au sein d’un seul livre est d’une cohésion évidente.
Utilisant à nouveau l’un de ses thèmes favoris, l’identité, Oliver Rohe parvient à établir des portraits à la fois intimes et universels. Ce paradoxe fait de Un peuple en petit un de ces livres dont on se souvient longtemps après avoir tourné la dernière page.
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