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8 mars 2009

La leçon de Tarnac

TARNAC, RETOUR SUR LE SYSTÈME JUDICIAIRE

Par Alain Brossat, philosophe (*).

Invité à se prononcer sur la mise en place de tribunaux spéciaux destinés à juger les séditieux, suite à l’attentat de la rue Saint-Nicaise qui, le 24 décembre 1800, avait failli coûter la vie au Premier Consul, Benjamin Constant se prononçait sans équivoque : ce qui fait la force et la valeur de la loi, disait-il, c’est que les voleurs de poules et les « brigands, les assassins, les scélérats » soient jugés dans les mêmes formes et selon les mêmes principes. L’homogénéité des formes est la sauvegarde des justiciables, disait-il, mais aussi du système qui les juge. Et d’ajouter : « L’abréviation des formes est donc une peine ; soumettre un accusé à cette peine, c’est le punir avant de le juger. »

Dans un régime « libéral », au sens où l’entendait Constant, les juridictions d’exception, quels que soient les prétextes dont elles se parent, sont intrinsèquement perverses, tranchait le philosophe. Deux siècles plus tard, ce diagnostic n’a pas pris une ride. L’existence de juridictions « antiterroristes » est ce qui fournit son alibi à cette sorte de « prise d’otage légale », commandée par la raison d’État, dont est victime Julien Coupat, le prétendu « meneur » de ceux que la police a baptisés le « groupe de Tarnac », une commune rurale installée sur le plateau du Limousin. Alors même que la construction policière s’est depuis longtemps effondrée, que la presse, relayée par des juristes, des personnalités politiques et intellectuelles, a démonté le caractère fantaisiste des incriminations mises en avant par le ministère de l’Intérieur et la juridiction antiterroriste, Coupat a pu être maintenu en détention provisoire depuis le 11 novembre 2008. Les huit autres co-inculpés ont été libérés sous contrôle judiciaire, un juge des libertés et de la détention a décidé sa remise en liberté dès le 19 décembre dernier. Mais il a suffi que le parquet de Paris s’y oppose en usant d’une procédure « d’urgence », le « référé-détention », pour qu’une sorte de peine indéfinie s’abatte sur ce redoutable « communard ».

On voit distinctement ici à quel point sont dangereux dans leur principe même toutes les juridictions, tous les dispositifs d’exception. L’affaire de Tarnac est apparue comme une démonstration si flagrante de cette « leçon », que c’est un « juge d’instruction antiterroriste », Gilbert Thiel, qui en a énoncé la morale dès la fin du mois de novembre 2008. Le propre de la notion même de terrorisme, dit-il (dans un entretien accordé à Libération), est qu’elle se prête à toutes sortes d’opérations d’extension insidieuses. Le terrorisme étant un concept accordéon, il va servir de truchement à toutes sortes d’opérations (politico-judiciaires) d’hypercriminalisation d’actions ou de conduites absolument disparates : préparation d’attentats par explosifs, émeute de banlieue, déversement d’acide sulfurique dans une rivière en vue de protester contre une délocalisation, diffusion d’écrits jugés séditieux, plasticage d’un radar routier, etc. D’autre part, toutes les incriminations de « terrorisme » font apparaître une dangereuse confusion entre le rôle de l’exécutif et celui du judiciaire - comme cela saute aux yeux dans le cas de la commune de Tarnac, c’est sous la pression directe des gouvernants que les magistrats antiterroristes prononcent les inculpations.

Étant lui-même partie prenante de ce dispositif de l’exception légale, de l’exception furtive et rendue permanente, le juge Thiel ne peut évidemment pas aller au bout de son raisonnement et mettre en cause le principe de l’existence d’un corps de magistrats chargés spécialement d’instruire les affaires de terrorisme, ainsi que celui de l’existence de juridictions spéciales, comme celle devant laquelle comparaît actuellement le nationaliste corse Yvan Colonna. Ce n’en est pas moins de cela qu’il est question : il est urgent que se compose dans notre pays une force qui exige la dissolution de toutes les juridictions et procédures d’exception. Que ce soit du côté de la police, de la magistrature, voire de l’université (la « criminologie »), le vocable « terrorisme » est, avant toute chose, un intensificateur de l’exception.

Or ce que manifeste avec éclat la poursuite sans fin de la vindicte d’État qui s’est abattue sur Julien Coupat, c’est la destination explicitement politique de ce genre de lettre de cachet : en s’obstinant à transformer en détenu particulièrement surveillé un jeune homme exemplairement rétif aux polices contemporaines de l’ordre néolibéral, il s’agit bien, pour nos gouvernants, d’adresser un message à toute une jeunesse tentée, aujourd’hui, d’entrer ouvertement dans des conduites de résistance : n’allez pas vous imaginer que vous pourriez devenir impunément désobéissants jusqu’à être ingouvernables, n’allez pas imaginer que nous ne disposions pas de tout l’arsenal propre à réprimer vos tentations dissidentes : au moindre pas de côté, nous frapperons sans merci, nous vous harcèlerons et vous arrêterons systématiquement à la fin des manifestations, nous épierons vos conduites suspectes, nous vous traiterons en ennemis dès l’instant où vous entreprendrez de vivre et penser « autrement » ; voyez Coupat.

C’est bien de cela qu’il est ici question : de la criminalisation promise, grâce à l’existence de dispositifs d’exception discriminants, relativement discrets, de toute espèce de politique radicale qui récuse les règles fixées par les gouvernants. En période de forte mobilisation du milieu universitaire, cette menace prend tout son relief…

(*) Enseigne la philosophie à l’université Paris-VIII Saint-Denis.

http://www.humanite.fr/2009-03-06_Tribune-libre_La-lecon-de-Tarnac






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