Les "Zoreys" et les martiniquais
par Guillaume Pigeard de Gurbert. Professeur de philosophie à la Martinique
On
entend souvent dire que les Antillais sont racistes envers les Blancs.
Il faut donc rétablir la vérité : s’il peut arriver de croiser une
attitude hostile, voire effectivement raciste, comme partout, c’est une
règle assez générale de la part des Zoreys (les métros) que de
s’isoler, de loger dans les mêmes quartiers, et de tenir des propos
suffisamment déplacés pour qu’il ne soit plus possible de les
fréquenter. Si certains se lancent individuellement dans d’authentiques
processus de créolisation, le système favorise le cloisonnement. Peu de
métros sont prêts à se défaire du réflexe ethnocentriste et préfèrent
croire qu’ils ont seulement changé de département. Comme le dit Michel
Leiris : « L’effort pour pénétrer une culture différente de la sienne
amène à se détourner (fût-ce temporairement) de cette dernière. » Si
l’on doit parler de racisme, c’est celui, terrible, des Martiniquais
envers eux-mêmes qu’il faut évoquer, victimes d’un mépris de soi dont
Fanon a tout dit, et que l’élection d’Obama contribuera peut-être enfin
à éradiquer. La domination du Blanc a été intériorisée sous la forme
d’un mépris pour tout ce qui s’éloigne de ce dernier. Il
faut en outre bien se représenter l’énormité de cette minorité
dominante (les métros) qui occupe les hautes fonctions et les postes de
direction cependant que les Martiniquais se partagent le reste. Le
voyage pour les Antilles ne signifie pas pour les Zoreys l’aventure
mais la facilité : « Les situations y sont assurées, les traitements
élevés, les carrières plus rapides et les affaires plus fructueuses »,
comme le dénonçait Albert Memmi dans son Portrait du colonisateur, qui
semble décrire les DOM actuels ! La longueur des séjours ne doit pas
faire illusion : « Comment regagner la métropole lorsqu’il y faudrait
réduire son train de vie de moitié ? » La vie ici n’est pas dure pour
tout le monde : en tant que fonctionnaire dont le traitement est majoré
de 40 % et les impôts diminués de 30 %, je sais de quoi je parle, ayant
vécu précédemment en banlieue parisienne. En
dépit de ces conditions objectives propices au ressentiment légitime,
l’attitude ordinaire du Martiniquais envers le Zorey est bienveillante,
sitôt que ce dernier se départit de sa superbe et consent à une
relation horizontale. Les relations sont ici comme ailleurs fonction de
ce que l’on y met de part et d’autre. Mais, plus qu’ailleurs, elles
deviennent très facilement généreuses. Ce qui s’explique en partie par
le fait que la conception de la famille est ici ouverte et ne se limite
pas aux stricts liens de parenté mais s’étend aux amis, aux voisins…
Cet art de l’hospitalité est une leçon de vie pour nous qui arrivons
ici rivés sur nos périmètres individuels. (*) Signataire du Manifeste pour les « produits » de haute nécessité