Il y a des mots étranges
Peinture de Gholam Sakhi
Il y a des mots étranges
Il y a des mots étranges des mots aussi étranges que étranger des mots
qui ne concordent pas avec un étranger qui par nature est aussi étrange
que le mot qui le dit qui le nomme qui le décrit dans une langue
étrangère aussi étrangère à l'égalité à l'égalité de la droiture donc
au droit / même si l'homme et le mot tracent leur droit chemin / il se
fait que l'égalité sociale se transmue en inégalité de droit /on
pourrait dire / oui on peut le dire et je le dis sans vergogne et sans
ambages les mots sont beaux mais les faits ont cette vulgarité / cette
trivialité du déni qui rend la chose humaine délictueuse /honteuse
/assassine et vorace /d'une voracité qui embue l'œil de celui qui sait
et qui regarde le monde abasourdi par la duplicité de ceux qui font
injure aux dieux civiques qui un jour dans une aurore prophétique
avaient osé placer dans la marmite des mots sommes toutes qui sont de
l'évidence-même / libre et égaux les hommes / libres et égaux et en
droit par-dessus le marché / sans distinction sociale voyez-vous ça /
un bouillonnement libérateur qui a fait Plouf comme si de rien n'était
/ un plouf au ventre rebondi plein de la soupe cynique allègrement
bouffie et suffisante / dans le bonheur dérobé / car la liberté / à
Dieu ne plaise même si Dieu n'a rien à voir là-dedans/ la liberté n'est
pas un petit nuage arc-en-ciel plein d'arrogance aux frontons de nos
mairies / la liberté est vêtue de laine râpeuse et grise /honteuse et
opaque aux yeux de l'entendement / on attend / on attend encore le coup
de tonnerre pour ébranler le monde / mais qui s'en préoccupe / les mots
ont déserté les bouches et nous assistons stupéfaits et incrédules à
l'innommable comédie humaine.
Niurka Règle